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    CRITIQUE SGANARELLE OU LE COCU IMAGINAIRE 

    Comédie de Molière version 1660 précédée d'un concert de musiques de Charpentier

    «  Un portail vers un passé lointain où le spectateur est toujours le même »

    C'est le 4 février à l’amphithéâtre Richelieu que la troupe du Théâtre Molière Sorbonne nous donne rendez-vous pour une représentation de « Sganarelle ou le Cocu imaginaire ». Il s'agit d'une comédie jouée selon les exigences du 17ème siècle. On appelle ce type de spectacle « historiquement informé », que ce soit au niveau de la déclamation, de la gestuelle des acteurs ou leurs costumes. La pièce est par ailleurs précédée par un concert de musiques de Charpentier par la troupe de l'atelier du théâtre. Toujours soucieux d'offrir une expérience authentique au spectateur, les instruments suivent une technique du violon utilisée en France à l'époque de Lully. En effet, durant le concert, les musiciens s'arrêtent souvent pour accorder leurs instruments puisque les cordes faites en boyaux de mouton sont très sensibles à l'humidité et à la chaleur. La musique continuera à accompagner la pièce par la suite, musique de Charpentier, faite sur mesure pour Molière, rendant l'expérience encore plus authentique.

    La comédie se base sur le quiproquo, procédé comique classique. En effet, la croyance trompeuse est au cœur de la pièce où Sganarelle se croit trompé par sa femme qui elle même croit qu'il la trompe avec Clélie. Clélie quant à elle est amoureuse de Lélie, elle croit qu'il la trompe avec la femme de Sganarelle. Le malentendu atteint son paroxysme avec les différentes situations mises en scène qui orientent les personnages vers de fausses pistes. La scène d'exposition met ainsi en place Clélie dans les bras de Sganarelle suite à son évanouissement, la femme de ce dernier croit ainsi qu'il la trompe. S'ensuit une infinité de malentendus qui reposent sur ce modèle.

    Mis à part le comique du sujet, la déclamation et les mimiques des acteurs représentent un grand rôle dans le comique de la pièce. En effet, la tonalité employée, le jeu exagéré des acteurs suscitent le rire du public. Le jeu grimacier mit au point par Molière, surtout à travers le rôle de Sganarelle, représente une nouvelle source du comique au 17ème. La distance qui nous sépare de ce siècle restitue la nouveauté d'un tel jeu auquel le public contemporain est peu accoutumé. C'est ainsi que la nouveauté de ce jeu singulier découle paradoxalement de son éloignement dans la tradition française. « Sganarelle ou le Cocu imaginaire », représenté par la troupe du Théâtre Molière Sorbonne offre donc au spectateur une expérience inoubliable, un portail vers un passé lointain où le spectateur est toujours le même, riant du même comique que le spectateur du 17ème.

     


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    Voici une autre petite critique écrite pour le service culturel de ma fac !

    « Ce qui a été ma plus grande honte est aujourd’hui ma plus grande fierté ». Ce sont les derniers mots qui clôturent la pièce, des mots prononcés par Marie Claire Chevalier adulte qui résument très bien son combat personnel, devenu le combat de toutes les femmes. Il s’agit de l’articulation subtile entre l’affaire privée et l’affaire publique. C’est une piqure de rappel, des mots qui nous rappellent que derrière toutes nos différences personnelles, réside la voix de l’autre en nous.

    Pauline Bureau s’inspire pour sa première pièce à la Comédie Française du « procès de Bobigny », qui contribua à l’adoption de la loi Veil. La pièce prend place en 1971.  Elle met en scène Marie Claire Chevalier, âgée de 15 ans, portant l’enfant de son violeur. La jeune Marie Claire refuse de garder l’enfant et a recourt à l’avortement clandestin. Nous assistons dans cette mise en scène à la souffrance de l’enfant, à l’injustice d’une loi qui aliène la femme de son propre corps. Le désarroi de l’héroïne est bien rendu par le dédoublement du personnage. En effet, sur scène, nous avons deux représentations de Marie Claire. Tout d’abord, une Marie Claire plus âgée, spectatrice de son propre drame, ainsi que Marie Claire adolescente, qui subit en temps réel son destin. Cette technique est d’autant plus intéressante puisqu’elle introduit un temps de réflexion au spectateur en créant une mise en abyme de la pièce elle-même. Le personnage commente l’action de temps en temps, la subit d’autres fois. Il s’agit d’une pause dramatique puisque nous voyons en premier plan la version âgée de Marie Claire tandis que les personnages au second plan sont totalement immobiles.

    Une grande partie de la pièce, constitue le procès de Marie Claire. Celle-ci voit son affaire devenir une affaire publique. La voix de toutes les femmes qui désirent disposer de leurs propres corps se joignent à la sienne pour réprimer cette loi. Ce deuxième temps du spectacle est celui qui expose l’injustice de cette loi ainsi que les différents points de vue des deux partis. Il s’agit du paroxysme de la tension dramatique. Le personnage de Gisèle Halimi, avocate de Marie Claire et militante contre l’interdiction de l’IGV, décortique la notion de loi et introduit une réflexion sur ses fondements. Cette réflexion est nourrie par les témoignages de femmes, des faits réels et même par des vérités scientifiques. Le spectateur est happé par cette représentation, autant par la beauté du texte que par l’ultra modernité du thème abordé. En effet, il s’agit d’une pièce extrêmement d’actualité puisqu’elle pose des questions qui reviennent à la surface. Les manifestations contre l’IGV et les protestations contre la loi Veil sont de plus en plus présentes, non seulement en France mais aussi dans le monde entier. Ceci montre bien la pertinence de la pièce et le besoin pressant de faire remonter ces questions à la surface.

    Il s’agit également de déconstruire les dogmes et des croyances du quotidien. La loi a en effet tendance à devenir dans la pensée commune un dogme, une croyance fixe, voire une vérité absolue. Gisèle Halimi montre bien la différence entre la justice et la loi, et l’importance d’une réflexion critique vis-à-vis de celles-ci. Cette question est d’une extrême importance, puisqu’elle motive le spectateur, l’éduque, le pousse à se poser les bonnes questions et à avoir une vision critique et personnelle. Il s’agit aussi d’une pièce d’une extrême importance, notamment pour les femmes et les militants de la condition féminine. Nous avons en effet tendance à prendre les droits de la femme pour des acquis, en oubliant tout ce qui a contribué à leur instauration et en oubliant que tout peu basculer d’un moment à un autre. Il s’agit d’une prise de conscience vis-à-vis de la place de l’individu de la société et de son importance pour créer le changement. Cette pièce, met en relief le combat de la femme pour ses droits et souligne donc le besoin de continuer ces efforts en créant un parallèle entre le présent et le passé. Elle montre cette circularité historique d’une manière fluide, de sorte que le spectateur tire lui-même ses propres conclusions.

    Cette pièce de théâtre joint fond et forme, mêle affaire privée et affaire universelle, pour donner à voir le combat de la femme pour ses droits. Il s’agit d’une pièce absolument à regarder en tant que femme, en tant qu’homme, en tant qu’être humain.

     


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     Petite critique que j'ai faite pour le service culturel de ma fac ! enjoy~ C'est la première fois que j'allais au théâtre ! Voir Isabelle Adjani était vraiment un honneur, surtout que je l'adore tellement !

    Opening night, quoi de meilleur pour rendre hommage au film de John Cassavetes que de le mettre en scène ?

    Cette pièce nous raconte l’histoire de Myrtle Gordon, une comédienne hantée par la mort d’une jeune admiratrice de 17 ans morte sous ses yeux, à la sortie de sa pièce. À la suite de cet évènement, l’actrice est incapable d’interpréter son rôle et perd sens à la vie. Il s’agit là d’une mise en abyme du théâtre lui-même. Adjani interprète le rôle de Myrtle, cette comédienne qui échoue à assurer son rôle. La mort de la jeune fille est représentée au début uniquement sur l’écran. Elle est d’autant plus saisissante puisque la jeune fille semble être le sosie de l’actrice. Ce rôle est en effet joué par la cousine d’Isabelle Adjani. Cette ressemblance peut être aussi symbolique, puisque le rôle qu’est supposé joué Myrtle est celui d’une femme qui regrette sa jeunesse perdue. La mort de la jeune admiratrice serait-elle la mort symbolique de la jeunesse de l’actrice ? Cette mort aurait-elle réveillé en elle des peurs enfouies ? La pièce ne donne pas de réponses.

    Ce n’est pas une mise en scène habituelle. Derrière le décor rudimentaire de la scène, on voit un énorme écran qui capte en temps réel les mouvements des acteurs, mais aussi ce qui se déroule dans les coulisses. Cette technique intéressante liant le cinéma et le théâtre permet au spectateur de mieux se représenter les évènements sur scène. Elle permet également un dédoublement de l’action qui appuie l’effet répétitif et redondant de la scène, certainement voulu par le metteur en scène pour symboliser les deux niveaux de réalité.

    La pièce se présente sous un aspect brouillé et décousu. Par ailleurs, Magny interprété par Morgan Lloyd Sicard et jouant le rôle du metteur en scène souligne cet aspect lors d’un appel téléphonique avec sa mère où il décrit la réaction des spectateurs. Il dit clairement « On dirait qu’Il y a la moitié du public qui aime et l’autre qui déteste ». Cette oscillation incessante entre différents niveaux de réalité -la pièce cadre et la pièce intégrée-, brouille les perspectives et désoriente le spectateur. Elle permet aussi d’évoquer des questions d’ordre dramatiques. Notamment sur la nature du théâtre en lui-même. Cet enchâssement est très bien représenté par la technique du cinéma dans le théâtre, à travers le camera man qui ne cesse de poursuivre les acteurs, comme pour représenter sur l’écran une réalité différente de celle qui se joue sous nos yeux.

    Le spectateur est au centre de l’action, il voit la pièce se construire sous ses yeux. Il participe même à son déroulement, puisque les personnages s’adressent parfois directement à lui et se déplacent autour de lui. Cette place privilégiée du spectateur est amorcée dès le début. La pièce commence sur un grand plan sur le publique que l’objectif de la camera capture. Le spectateur se voit sur le grand écran, il est sollicité et mis à l’avant. Cette place importante qu’occupe le spectateur nous porterait peut-être à croire qu’il n’y a pas de sens définitif à tirer de cette pièce. Qu’il n’existe pas une manière unique de la comprendre mais que le spectateur est appelé à y voir ce qu’il désire, d’où cette richesse de perspectives.

    Les personnages sont énigmatiques, à la fois drôles et pathétiques, tout comme les situations. En effet, la pièce mélange comique et pathétique, parfois nous avons même les deux dans une même scène ce qui crée une dimension grotesque. Cet aspect en plus d’être divertissant pousse le spectateur à se questionner sur la véracité du théâtre. Il voit à la fois l’acteur et le personnage. Un des grands mérites de cette pièce est donc sa métathéâtralité, elle se prend elle-même comme objet de réflexion en sacrifiant l’illusion théâtrale. L’ambiguïté atteint son paroxysme surtout avec le personnage de Myrtle.

    Ce soir, nous ne savons pas si c’était elle qu’on voyait ou si c’était Isabelle Adjani. Elle apparait dans toute sa vulnérabilité et sa fragilité, brouillant les limites entre le jeu et le réel. Son jeu est entièrement marqué par l’expression forte de l’émotion. Cette hésitation pourrait être expliquée par la ressemblance frappante entre Adjani qui joue Myrtle et sa nièce qui interprète l’admiratrice, mais aussi par la ressemblance entre son rôle de « star » et sa propre identité en tant qu’actrice.

    Opening night pourrait ainsi être interprétée comme une pièce autobiographique où Adjani s’offre au spectateur et évoque ses propres craintes. Cette ambiguïté s’étend aussi aux rapports entre les personnages qui sont sans cesse remis en question. La relation d’amour et de haine entre Myrtle et Maurice ou encore la relation de Myrtle et du metteur en scène Manny. Nous ignorons tout de la vérité des sentiments des personnages. Encore une fois, le metteur en scène choisit de ne pas choisir. Le public est censé remplir ces zones de vide et de brouillard par sa propre imagination.

    Opening night est donc une pièce énigmatique et ouverte. Elle offre au spectateur le privilège d’assister à la construction d’une pièce sur scène, ou plutôt à la déconstruction du théâtre sur scène. Elle l’invite également à prendre part à cette déconstruction. Elle soulève des problèmes d’ordre dramatique mais également des problèmes humains. Elle brouille les pistes entre le vrai et le faux, le jeu et la réalité. Cyril Teste nous présente encore une fois avec cette pièce un morceau de bravoure qui propose un théâtre nouveau non seulement du côté de la technique mais aussi du côté de l'originalité des thèmes évoqués.


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